Fascination et méfiance : ces deux mots décrivent la relation complexe qu’entretiennent la société et la recherche biomédicale. Cette dernière est perçue à la fois comme une bénédiction, lorsqu’elle permet de mieux comprendre les maladies et de soulager les souffrances, et comme une menace, lorsqu’elle flirte avec les limites de la biologie et qu’elle bouleverse les représentations que se fait l’être humain du monde et de lui-même. Il ne fait cependant guère de doute que le monde contemporain accorde en général du crédit aux chercheurs et aux idéaux qu’ils représentent. En retour, il est en droit d’exiger que la démarche scientifique réponde à des critères d’excellence et de transparence. En particulier, il attend des chercheurs qu’ils expliquent les enjeux de leurs travaux et qu’ils soient à l’écoute des préoccupations du grand public.
Du patient “sujet d’étude”…
Longtemps les scientifiques travaillant dans le domaine biomédical ont été des protagonistes essentiels, les citoyens n’ayant au mieux qu’un rôle passif à jouer : contribuer au financement des projets, participer aux études cliniques en tant que patients ou volontaires sains, et espérer pouvoir bénéficier des avancées médicales qui parfois en découlent. Au vu des promesses actuelles et des questions que la biologie suscite, nous ne pouvons ignorer la nécessité d’un dialogue plus direct entre science et société. Ces dernières années, l’importance d’une implication concrète de la société dans la démarche scientifique a d’ailleurs été reconnue. Ce phénomène d’ “empowerment” est au premier abord déstabilisant pour un monde qui avait pour habitude d’évoluer loin des regards, mais il recèle bien des promesses. La démocratisation de la science permet d’abord aux individus qui le désirent de participer à des débats et des décisions qui concernent l’humanité tout entière. Elle transforme d’autre part les « sujets d’étude » en « partenaires de recherche » souvent très motivés.
L’information au public ne commence évidemment pas lors d’une visite médicale ou de l’inclusion dans une étude clinique. C’est un travail de longue haleine, qui devrait débuter sur les bancs des écoles et se poursuivre tout au long de l’existence. Pour ce faire, il devrait y avoir chez les scientifiques un désir d’aller à la rencontre du public, d’assurer une présence dans les médias et sur les réseaux sociaux, de contribuer activement aux débats relatifs à la recherche.
… au “citoyen-chercheur”
Dans une société démocratique comme la nôtre, dans laquelle les citoyens sont amenés par leur vote à prendre des décisions législatives qui peuvent avoir un impact majeur sur la recherche (comme par exemple pour le génie génétique ou le diagnostic préimplantatoire), il importe que la démarche et les concepts scientifiques soient compris du plus grand nombre. Cependant, il faut souligner que les bénéfices d’une culture scientifique plus largement diffusée ne se résument pas à la participation des citoyens aux débats sociaux, idéologiques et politiques qui accompagnent les projets de recherche. On assiste depuis quelques années à un changement plus radical : l’émergence de groupes de « citoyens-chercheurs » qui s’approprient la démarche scientifique elle-même. L’exemple le plus significatif est probablement celui de PatientsLikeMe, un réseau social qui permet aux patients d’échanger des informations sur leur maladie, leur traitement et leur expérience. Il compte aujourd’hui plus de 300'000 adhérents, et a notamment permis de démontrer l’absence d’efficacité du lithium dans la sclérose latérale amyotrophique (une étude publiée dans la revue Nature Biotechnology).
L’étape suivante, qui promet de faire de tout individu un acteur, c’est la contribution possible de chacun – malade ou bien-portant – à une collecte globale de données liées à la santé (voir le résumé de la contribution du Prof. Francesco Panese au Symposium du 5 novembre, encarté dans ce numéro). Le “quantified self” érigé en vertu collective : une possibilité encore inexplorée de faire avancer la connaissance, mais aussi une menace non-négligeable pour la sphère intime et le droit à l’auto-détermination. Ici encore, à nous de trouver le juste équilibre entre enthousiasme et vigilance ; Il en va de notre responsabilité de scientifiques et de citoyens.
L’enjeu actuel pour la recherche biomédicale, c’est donc la réinvention d’un contrat de confiance avec la société. Celui-ci doit inclure le devoir d’informer, d’échanger, de communiquer efficacement, mais également la garantie d’une certaine autonomie, le droit - essentiel - de bousculer les certitudes et de ne pas se limiter à une recherche utilitariste. Finalement, l’engagement des citoyens dans l’entreprise scientifique est un défi et une chance qu’il s’agit de saisir et de coordonner, afin de garantir l’existence d’une science crédible, intègre et libre, qui représente l’un des fondements d’une société éclairée.