De Rabelais à Beethoven, en passant par Goya…
«Ceste année les aveugles ne verront que bien peu, les sourds oyront assez mal, les muets ne parleront guères, les riches se porteront un peu mieux que les pauvres, et les sains mieux que les malades.»
(Œuvres diverses VIII, 3, François Rabelais, médecin et écrivain, 1494(?)-1553)
Dans son style inimitable, Rabelais évoque des problèmes de santé publique (et de société) qui semblent toujours d’actualité… près de 500 ans plus tard. Précisément, les pages qui suivent reprennent le problème de la surdité qui, avec la cécité, constitue un handicap sensoriel majeur, entravant gravement la capacité à communiquer avec le monde extérieur.
La Professeure Christine Petit met tout d’abord en évidence la part importante de l’hérédité dans les surdités humaines et comment l’identification des gènes responsables des formes les plus fréquentes de surdité congénitale ont grandement contribué à comprendre le fonctionnement de la cochlée. Ce minuscule organe de notre oreille interne est capable de performances inouïes, si l’on ose dire ; il nous livre accès aux sons dans un domaine de fréquences particulièrement étendu, nous ouvrant notamment à la musique. Notre audition dépend du bon fonctionnement de seulement 3000 cellules – dites «chevelues», formant la touffe ciliaire – dont par ailleurs l’aspect au microscope est d’une très grande beauté.
En attendant le développement de nouveaux traitements, les progrès récents de la génétique permettent déjà un diagnostic précis d’un grand nombre de surdités congénitales, facilitant la prise en charge des malades. Dans un certain nombre de cas, ils autorisent des traitements de substitution efficaces, prévenant la conséquence redoutée d’une surdité non traitée, celle de ne pouvoir acquérir le langage.
Le Professeur Marco Pellizone décrit les progrès techniques acquis dans le domaine des implants cochléaires, des prothèses qui permettent une réhabilitation du fonctionnement de l’oreille interne. Le témoignage d’une enfant, atteinte de surdité à la suite d’une méningite à l’âge de 11 mois, atteste des succès remarquables de cette technologie en plein essor.
La surdité est également un problème de santé publique, à l’époque où l’augmentation de l’espérance de vie entraîne celle de la fréquence de la perte d’audition en fonction du vieillissement (presbyacousie). Ces surdités de l’âge adulte tendent à apparaître de plus en plus précocement en raison de la diversification des nuisances sonores environnementales, professionnelles ou de loisirs: aéroport, orchestre, concerts, disco, marteau-piqueur, mauvaise utilisation des oreillettes de baladeur, etc. A cela s’ajoutent les médicaments ototoxiques (aux effets indésirables affectant l’ouïe). Pour ces cas aussi, la prise en charge et la technologie des appareils auditifs se sont considérablement améliorés. De plus, depuis peu, les implants cochléaires peuvent parfois aussi offrir une réhabilitation partielle, jusqu’ici inespérée.
La surdité reste un handicap grave dans nos sociétés, malgré tous les progrès accomplis. Goya a ainsi vu son approche du monde totalement bouleversée par une surdité apparue brutalement, à la suite – probablement - d’une méningite.
Que dire aussi de Beethoven, atteint d’une surdité lentement progressive ?Il avait beaucoup de peine à en parler à son entourage, tant il avait honte. Comme il l’écrivait à un ami en 1801 : «Bien sûr, j’ai pris la résolution de me dépasser en surmontant tout cela, mais comment sera-ce possible ?...» Ce le fut, apparemment, puisqu’il écrivit ses quatre dernières symphonies alors qu’il était totalement sourd !
La capacité humaine à surmonter un handicap semble heureusement sans limite.