Traitement des leucémies: améliorations, espoirs
Alors que les leucémies sont des maladies relativement rares dans l’ensemble de la population suisse (moins de 5% des cancers), elles constituent 40% des cancers de l’enfant, soit environ 100 cas nouveaux par an (voir l’article du Dr. von der Weid). Pour l’ensemble de la Suisse, quelque 700 cas nouveaux par an ont été enregistrés entre 1997 et 2001, pour un total de cancers de 32’660 (peau exclue, sauf mélanome ). On estime qu’environ 1 personne sur 100 risque d’être atteinte d’une leucémie entre sa naissance et l’âge de 79 ans (par comparaison: env. 15 personnes pour le cancer de la prostate, 11 pour le cancer du sein, 7 pour le cancer masculin du poumon, 6 pour le cancer du colon/rectum). Pour ce qui concerne le canton de Vaud, par exemple, les statistiques (1999-2002) indiquent en moyenne 5 nouveaux cas de leucémies pédiatriques (0-14 ans) par an, et 60 dans l’ensemble de la population.
Les auteurs de ce numéro, médecins et patients, expriment les espoirs, craintes et sentiments nouveaux que l’expérience d’une maladie grave, et de son traitement, fait naître; ils exposent clairement les connaissances générales actuelles et présentent les avancées thérapeutiques les plus spectaculaires de ces dernières années, concernant la leucémie aiguë de l’enfant: des résultats impressionnants qui sans doute ne sont pas envisageables à court terme pour l’ensemble des types de leucémies, comme l’indique le Prof. Schapira.
L’évolution des connaissances sur l’origine, la nature et les caractéristiques des leucémies est exemplaire des progrès de la médecine moderne, dès le XIXe siècle. L’identification des leucémies trouve son origine dans l’analyse de laboratoire; elle est attribuée à Alfred Donné, un médecin français travaillant à l’Hôpital de la Charité à Paris vers 1840, pionnier de l’utilisation du microscope en médecine et auteur du premier Cours de microscopie illustré à l’aide de daguerréotypes. Ses analyses microscopiques de sang lui ont montré que certaines maladies étaient caractérisées par un excès de globules blancs. Comme on pense à l’époque que les globules blancs se transformaient en rouges, Donné juge, à tort, qu’un défaut de cette transformation explique l’abondance de globules blancs. Quelques années plus tard, en 1847, le grand médecin allemand Rudolf Virchow crée le terme de «Leukämie» (littéralement : «sang blanc»), désignant la modification de la couleur du sang (cf. l’illustration) due à l’abondance des globules blancs, en association avec un gonflement de la rate et des ganglions lymphatiques. Virchow reconnaît qu’il s’agit d’une perturbation de la formation des cellules du sang dans l’organe formateur, et non dans le sang lui-même, qui peut prendre différentes formes cliniques; il évoque une nature cancéreuse de la maladie.
Les décennies qui suivent voient se préciser peu à peu les connaissances sur la formation des cellules sanguines et le rôle de la mœlle osseuse. Des contributions essentielles viennent d’un autre grand chercheur allemand, Paul Ehrlich, qui développe l’usage des colorants vitaux, et établit l’existence de deux types de leucémies, lymphoïde et myélogène. Plus tard, dès le début du XXe siècle, les causes elles-mêmes sont recherchées; les leucémies sont longtemps considérées comme des maladies infectieuses, comme pouvait le suggérer la découverte de leucémies aviaires d’origine virale. Aujourd’hui encore, les causes des leucémies humaines ne sont pas clairement établies ( des rayonnements ionisants, des substances chimiques peuvent être impliqués ).
L’efficacité des traitements anti-leucémiques s’est affirmée dès le milieu du siècle dernier, grâce aux recherches d’hématologues et pharmacologues français et américains notamment. Jean Bernard et Marcel Bessis effectuent dès 1947 des transfusions sanguines totales (exsanguinotransfusions) chez des enfants leucémiques, obtenant quelque rémission. Mais la recherche pharmacologique pour le traitement des leucémies et autres cancers se développe surtout aux Etats-Unis. Les noms importants sont ceux de Louis Goodman et Alfred Gilman de l’Université de Yale qui, au début des années 1940, mettent au point des médicaments anticancéreux chimiquement analogues (mais moins toxiques !) au fameux gaz moutarde de la Première Guerre mondiale. Et aussi de Sidney Farber, un pathologue de Harvard à l’origine de l’utilisation des antagonistes de l’acide folique qui bloquent la croissance des cellules cancéreuses, notamment dans les leucémies lymphatiques aiguës de l’enfant (1948). Et encore de George Hitchings et Gertrud Elion, chercheurs des années 1940-60 chez Wellcome Research Laboratories, plus tard récompensés par un prix Nobel (1988) pour leurs contributions à la pharmacothérapie anticancéreuse. Récemment mis sur le marché, l’imatinib (Glivec©) illustre un type de ces nouveaux médicaments beaucoup mieux ciblés que les précédents sur les cellules tumorales, et qui sont actuellement parmi les espoirs les plus sérieux dans le traitement des leucémies, et d’autres cancers.