J'ai confiance en mon médecin mais je me méfie de la médecine: un paradoxe?
Un récent sondage d’opinion dans la population suisse montre que l’image de marque du médecin praticien est bonne, toujours bonne, pourrait-on dire. Plus de 80 % de la population a très confiance en son médecin traitant.
L’image de marque de la médecine en général et de la recherche médicale en particulier ne paraît par contre plus si favorable: la médecine serait trop technique, trop chère, pour certains même inhumaine. Quant à la recherche, certains la considèrent comme dangereuse, agressive, chimique, polluante et surtout inutile.
La méfiance devant le progrès médical a conduit le peuple suisse à déposer au cours des douze dernières années plusieurs initiatives tendant à la freiner ou parfois à la bloquer complètement. L’initiative dite pour la «protection génétique» n’en est que la plus récente manifestation.
La raison de cette méfiance est en grande partie liée à l’angoisse et à l’incompréhension que génère tout progrès ou révolution technique rapide. Or la médecine vit une telle révolution, une révolution « moléculaire» qui, de fait, va, au cours des dix prochaines années, radicalement transformer notre capacité à prévenir, diagnostiquer et guérir les maladies.
La découverte du matériel génétique, l’ADN ( acide désoxyribonucléique ), en 1953 par Crick, Wilkins et Watson, a donné naissance à des méthodes nouvelles, groupées sous l’appellation de génie génétique.
Dans ce numéro, nous donnons la parole à ceux qui utilisent tous les jours les nouvelles techniques dites de génie génétique et à ceux qui en bénéficient.
Le professeur Susanne Suter décrit la mucoviscidose, une des maladies génétiques les plus fréquentes, qui pose au pédiatre un problème thérapeutique très difficile. La découverte du gène causant la maladie a déjà considérablement contribué, et en très peu de temps, au développement de nouvelles approches thérapeutiques. Il est clair que le but poursuivi est la thérapie génique, ce qui nécessitera encore de nombreux efforts expérimentaux. De ce point de vue, le développement de modèles animaux se révèle indispensable, non seulement pour tester l’efficacité de la thérapie génique elle-même mais également tous les autres traitements plus conventionnels que l’on utilise encore aujourd’hui.
Le professeur Jean-Marie Matthieu montre l’importance du génie génétique dans l’espoir de traiter les maladies neurologiques, pour lesquelles, à l’heure actuelle, il n’exis-te que très peu de thérapeutiques réellement efficaces. Finalement, fidèle à notre tradition de publier en dernière page un témoignage de patient, une personne atteinte d’une maladie à transmission génétique, la myopathie, nous fait part de sa lutte quotidienne contre la dégénérescence, et surtout de son attente à l’égard des nouveaux horizons de la médecine contemporaine, nous rappelant que la médecine peut et doit encore faire quelque chose.
La recherche biomédicale a comme objectif de prolonger notre espérance de vie mais surtout désormais d’améliorer la qualité de cette vie. La révolution moléculaire représente sûrement une percée considérable dans le progrès de nos connaissances; elle permet de s’attaquer aux maladies chroniques les plus fréquentes ( diabète, hypertension, artériosclérose, arthrose, sclérose en plaques, maladie d’Alzheimer, etc. ) avec cet objectif de qualité plutôt que de quantité.
Chacun perçoit plus ou moins positivement cette notion de progrès; mais jusqu’où tout cela nous mènera-t-il donc, entend-on dire. Il est évident qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais de progrès – médical ou autre – sans risques. La maîtrise croissante des phénomènes biologiques implique certes une prise de responsabilités à sa mesure. Ou alors imaginerions-nous résoudre le problème par des interdictions brutales ?
Quatre éléments doivent permettre de poursuivre une recherche biomédicale qui suscite moins de méfiance et d’angoisse qu’à l’heure actuelle:
- Tout d’abord un cadre législatif qui tienne compte en toute connaissance de cause des risques et des bénéfices du génie génétique.
- Deuxièmement, un cadre éthique avec participation de scientifiques et de non-scientifiques, pour un débat de fond continuellement renouvelé au gré des progrès rapides de la connaissance.
- Troisièmement, l’engagement personnel du médecin et du biologiste, conscient de ses responsabilités, qui réfléchit au but de son expérimentation et soupèse les bénéfices de tels projets afin que les moyens nécessaires à leur réalisation soient appropriés et proportionnels au but visé.
- Quatrièmement, le renforcement de l’information qui doit passer du laboratoire dans le grand public; c’est ici que la responsabilité des médecins et des scientifiques en général est très grande.
Nous ne pensons pas que la Suisse soit en retard sur aucun de ces trois premiers points, bien au contraire, mais il reste encore beaucoup à faire en ce qui concerne l’information. La recherche biomédicale, le développement de nouvelles thérapeutiques et médicaments, et le génie génétique en particulier, restent les atouts majeurs de la place helvétique, mais surtout de la poursuite du développement de notre projet de civilisation. Pour utiliser une image commune, interdire tout un pan de cette recherche, comme certains le proposent, ne représenterait rien d’autre qu’une forme d’« autogoal».
Biotechnologie et génie génétique en Suisse
Article constitutionnel 24 novies, adopté en référendum le 17 mai 1992 par 73.8% des votants (extraits):
1. L’homme et son environnement sont protégés contre les abus en matière de techniques de procréation et de génie génétique.
2. La Confédération édicte des prescriptions concernant l’utilisation du patrimoine germinal et génétique humain. Elle veille par là à assurer la protection de la dignité humaine, de la personnalité et de la famille et se conformera notamment aux principes suivants:
a. Les interventions dans le patrimoine génétique de gamètes et d’embryons humains ne sont pas admissibles
b. Le patrimoine germinal et génétique non humain ne peut être ni transféré dans le patrimoine germinal humain ni fusionné avec celui-ci.